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Roland de Roncevau fut-il massé ?

Etrange épopée que cette chanson de geste dont on ne connaît pas l'origine mais qui fut écrite entre 1025 et 1050, pour chanter un fait remontant à un 15 août 778. Alors pourquoi une mise en gloire aussi tardive, nous ne le saurons peu-être jamais, par contre le texte lui contient entres autres informations, comment l'Empereur, sous-entendez Charles li reis nostre emperere magne « Le roi Charles, notre grand empereur » demande à ce que soit gardé les corps de Roland, son neveu, d'Olivier, fidèle compagnon de Roland et celui de Turpin, probablement Tilpin, archevêque de Reims qui aurait perdu sa charge sur intervention de Charles Martel. D'ailleurs, pour la petite anecdote, notre religieux, fort énervé, aurait rejoint Charlemagne armé d'une épée devenue célèbre, nommée : Almace et en effet, elle massa nombre de Sarrasins. Bon, alors cela constitue, je vous le concède, une prise de distance quelque peu hasardeuse avec le texte mais reste assez conforme à l'objet de notre sujet, à savoir, le massage dans la mort. On fait ce que l'on peu !
Néanmoins, le sujet n'est pas là, mais davantage dans l'extrait de la Chanson de Roland, dit manuscrit d'Oxford de 1090 (il en existe neuf de part e monde) sur laquelle se portera toute notre attention :

 

L'empereur fait garder le corps de Roland
Celui d'Olivier et de l'archevêque Turpin ;
Il les fait tous ouvrir devant lui.
On recueille leurs coeurs dans une pièce de soie,
Et on les enferme dans des cercueils de marbre blanc,
Puis on prend les corps des trois barons,
On les met dans des cuirs de cerf
Après les avoir frottés de piment et de vin.

 « Ci falt la geste que Turoldus declinet ».

Frotter trois Barons de piment et de vin... Doit-on y voir la simple tentative procédurale, systématique et froide de conservation des corps ? Peut-on l'isoler de toute attention spécifique qui constitue une des dominantes du massage ? Et, osons le gros mot, est-ce que frotter trois Barons, peut, avec quelques précautions d'usage, être considéré comme un massage ?

Répondons à la première question. Ce traitement est-il celui que l'on réserve à toutes personnes décédées de haut rang ? L'europe n'a jamais développer un grand attrait à la conservation des corps dans leur ensemble et se fait, cela constitue un des rares exemple de tentative de conservation partielle du corps. Les plus connus sont ceux de Robert d'Arbrissel, prêtre breton, enterré à Fontevreault en 1117, dont le coeur fut donné aux religieuses d'Orsan, ou celui du laïc Henri 1er, Roi d'Angleterre et Duc de Normandie. Le penchant était plus à la conservation d'ossements ou d'objets du défunt qui étaient enchâssés dans des coffres ou des urnes parfois spectaculaires.
Le systématisme quasi administrative pour une telle opération aurait pu enlever un peu d'intérêt à notre sujet ce qui n'est pas le cas.

Deuxième questions, peut-on isoler cette pratique de toute attention spécifique ? Nous y répondons indirectement plus haut, s'il ne s'agit pas d'une action octroyée à tout haut dignitaire, ce qui aurait quand même constitué une attention particulière non plus à trois hommes mais à une catégorie, on peut en déduire que ce traitement fut assez rare pour être mention dans une chanson de Geste. Ceci est d'ailleurs confirmé par les historiens avec pour preuve les procédés pour le moins frustes de ce qui reste quand même un début d'embaumement au regard des efforts considérables déployés dans d'autres pays.

La troisième question est : est-ce que frotter de piment et de vin, trois Barons peut se voir attribuer le qualificatif de massage ? Ce qui caractérise un massage est toucher autrui de façon élaborée à des fins détente ou de soins qui peut être facilité par un fluidifiant de nature à faciliter le geste ou pénétrer les pores de la peau.
Dans le texte il est dit que les corps étaient gardés sur demande de l'Empereur lui-même, et donc d'une première attention bien signalée aux vues du lien de parenté qu'ils entretenaient. L'attention est donc là clairement établie. Leur coeur fut retiré et leur corps de Barons défunts, frotté de piment et de vin, mais est-ce suffisant pour considérer qu'il y a eu massage et est-ce que le verbe frotter peut être assimilé à masser ? Le verbe masser dans le sens de massage n'existe pas à cette époque. On parle alors de friction,
fricamentum en latin mais la racine est la même, frotter ou frictionner sont équivalent et constitue encore aujourd'hui une des façons d'intervenir sur les tissus en massage.
L'Egypte ne semble pas avoir les mêmes réticences a employer le massage jusque dans les mêmes circonstances, celles de la mort, en lui faisant rejoindre ses techniques d'embaumement. Après avoir été déshydraté de ses liquides organiques, le corps du Pharaon est ré-hydraté avec des huiles parfumées par le biais du massage.
A la même époque, c'est-à-dire au XIème siècle, Avicenne publie son Canon medicinae dans lequel il parle non seulement de massage mais l'illustre de gravures. L'Egypte est en Afrique de l'Est, Avicenne est Perse tandis qu'en Europe et particulièrement en France, les traces du massage sont d'une extrême rareté et à chercher essentiellement autour de la sphère privée des bains et de la toilette.
La chanson de Geste de Roland de Roncevau est une manifestation éclatante de massage, certes, morbide, mais de massage quand même. Le fait d'être vivant, comme nous le voyons sur ce site du CFDRM dédié à la mort, n'est pas la condition sine qua non pour qu'il soit caractérisé. Nous avons là, sur un manuscrit historique l'illustration d'un massage pratiqué sur Roland de Roncevau, son compagnon Olivier et sur Turpin/
Tilpin, archevêque de Reims avec pour agent intermédiaire du piment et du vin marquant l'affection et la considération que Charlemagne portait à ces hommes.

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lundi 14 juillet 2008

 

 

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