Nous
nous sommes interrogés au CFDRM s'il fallait
tomber dans l'évidence du noir pour cette page
peu commune. La réponse nous fut proposée
par l'histoire de la mort en occident et de sa symbolique,
celle de l'oeil qui se clôt pour mourir ou pour
se laisser masser, celle de l'esprit qui s'éteint
ou entreprend le vide en soi l'instant d'une séance
de massage. Le noir était culturellement la couleur
la plus chargée, la plus proche de la pénombre
nécessaire à son accomplissement. Étrange
entrée en matière aussi que ce texte d'ouverture
qui s'interroge sur la pertinence d'une couleur, plutôt
que d'aborder d'entrée le sujet _ pourquoi le
massage et la mort ?_. Pourtant la couleur est messagère
de bien plus de choses qu'une simple réaction
rétinienne mais si il ne fallait retenir que
celle-ci, alors on peut dire que ce que oeil perçoit
reste bien le privilège des vivants et de ces
mises en lumières. Alors pourquoi l'étrange
mésalliance, inhabituelle et méchante
pour le moins surprenante, entre le massage et la mort
? Si le massage est si souvent mélangé
à l'amour porteur de rouge et d'éros,
le massage ne pouvait échapper à ce versant
singulier dont les ombres tendent naturellement à
nous dissimuler les premières manifestations
de ce thanatos. Ce que Freud installa durablement dans
la psychanalyse ne pouvait pas décemment ne jamais
résonner dans les arcanes aussi forts complexes
du massage. C'est à la mort de sa fille, Sophie,
sa chère éblouissante
Sophie en 1920 et trois
ans plus tard de son petit fils, Hans, mais aussi celle
de Karl Abraham, un de ses plus brillant disciples en
1925, qu'il élabora cette théorie de deux
forces pulsionnelles de vie et de mort comme forces
élémentaires constitutives de l'homme
nécessaires à son équilibre mental,
comme il le développera dans son livre, Au-delà du principe de plaisir. Les adeptes de cette école freudienne
eurent du mal à intégrer cette dynamique
alors que Freud apprenait la même année
que la mort de Hans qu'il était atteint d'un
cancer de la mâchoire. Le choc à lui seul
ne pouvait-il pas suffire à expliquer ces relents
de désarrois ? Pouvait-on penser un seul instant
qu'à la seule peine un esprit si fin se laisserait
prendre au point de confondre l'aveuglement de la douleur
avec la perspicacité de sa pensée ? Le
massage contient ces mêmes contraires et les pulsions
l'animal de l'humain qui le pratique, le vit et le ressent.
Nous avons là de
nombreux travaux à développer entre massage,
psychanalyse et les liens qui s'entretiennent avec les
pulsions de mort.
Nous verront que le massage contient
sa part de violence comme une sorte de massage en négatif,
d'anti-massage venant en négation du corps. Et
puis, le CFDRM pouvait-il seulement ignorer un tel invité
originel ? Non bien sûr. Il a sa place et pas
la moindre si l'on veut bien prendre la peine de l'extraire
de son étriquée définition biologique.
Lorsque l'on connaît le massage
de relaxation qui se définit souvent comme un
retour aux origines, on a du mal à imaginer,
lorsqu'on y songe, qu'un retour si profond se fasse
sans que jamais, nulle part, la présence de la
mort ne soit présente. Le massage c'est la confiance,
c'est l'abandon et l'abandon c'est confier à
autrui sa sécurité... Je me laisse aller,
"je m'en remets entre tes mains, je perds le contrôle"
mais qu'est-ce donc que le contrôle si ce n'est
la mise en sécurité de son corps par la
veille de l'esprit ? Le bien-être est cette notion
de laisser aller et si on le ressent avec tant d'intensité
c'est précisément parce que l'homme primitif
qui sommeil, replié en nous, n'a pas oublié
les dangers de l'existence et ce qu'il en coûte
des inattentions, lorsque l'on assiste impuissant aux
conséquences des accidents de la vie sauvage.
Si nous prenons un peu de recule et surtout le temps
de réfléchir à ce que signifie
par exemple l'expression, "dormir sur ses deux
oreilles" on comprend bien qu'il ne s'agit pas
de la même chose que de "ne dormir que d'un
oeil". Le sommeil, selon les circonstances est
certes, bénéfique, relaxant, mais il peut
s'avérer mortel. Dormir, c'est bien là
le danger. Dormir c'est se détendre et se détendre
c'est déjà relâcher son attention.
Ne dit-on pas d'un massage qu'il "permet de lâcher
prise" ? Lâcher prise constitue les prémices
d'une stratégie très ancienne ancrée
chez les animaux de meute qui consiste à déléguer
l'attention de chacun et donc de la sécurité
du groupe à un seul, afin de se nourrir ou chasser
convenablement, comme la partenaire enceinte délègue
à son congénère le soin de la nourrir
le temps de sa grossesse qui la rend inapte à
le faire elle-même, le massé prépose
ainsi son masseur à rester attentif pour lui
tandis qu'il s'offre le rare plaisir de se laisser aller
sans trop risques... Pourtant, si l'abandon peut
être source d'inquiétude, alors le toucher
de l'autre, la proximité immédiate d'un
tiers constitue un risque non négligeable. Dans
un massage le danger est considérablement mesuré
mais il persiste quoi qu'on fasse même si le premier
échange contient, sans qu'on s'en rend compte,
une kyrielles d'informations propices au terrain. L'agressivité
nécessaire dans le conflit comme marqueur des
potentialités des forces dont on dispose s'effacera
en faveur de signaux d'invites. Les codes sociaux que
nous libérons sont autant de mises en concordances
de nos appartenances culturelles. Poignées de
mains, civilités, sourires, prévenances
seront autant de signaux de non agressivité et
de soumission de nature à apaiser.
Renseignements pris, rassuré par
l'environnement d'accueil, le massage peut commencer.
Pourtant la parade mortelle n'a pour le coup pas cessée
de s'étendre et se poursuit alors que tout semble
pacifié. Seulement dans le couple recomposé
pour les besoins d'un massage, persiste tout un ensemble
de conditionnements qui rappellent notre place dans
la société. La présence double
de l'autre instruit de fait la dualité dans ce
qui n'est pas moi et se révèle source
de danger. Jamais deux ne seront identiques et cette
présence des différences suffit à
établir un rapport de force potentiellement létal
à l'identité de l'autre. Celui qui domine
est celui qui soumet et la soumission c'est admettre
la toute puissance de l'autre sur mes acquits de vie
avec la permanence du sujet de mort. Dans un massage,
le passif n'est pas forcément celui qui se laisse
masser mais peut concerner le masseur ou la masseuse
selon la hiérarchie habituelle des sexes mais
aussi des fragilités qui font que l'individu
massant, donc pourtant dans la position de dominant,
peut tout à fait se placer instinctivement par
le massage en situation de négociation de statut.
La létalité se situe dans ce processus
d'effacement identitaire pour aboutir à une forme
inconsciente de laisser-prise-de-pouvoir volontaire.
Cette dominance passe par tout un complexe de signaux
dont le corps est vecteur. Par le positionnement, la
puissance du geste, sa spontanéité, son
énergie, de l'information passera en permanence
sans qu'une seule seconde soit neutre de toute charge
communicationnelle. Le massage est féminin par
sa bis-écoute, chacun entrant en communication
avec un corps, celui du massé. Seulement le corps
est lui masculin, intrusif et jamais tout a fait isolable
du corps également masculin du masseur ou de
la masseuse ce qui établit là l'opposition
et donc l'amorce du conflit. La prostitution en est
une forme mais elle n'est pas la seule. L'art du massage
identifié dans un conflit du type prostitutif
devient la victime de cet enjeux et se trouve en grande
partie détruit dans ses principes comme dans
son esprit. La scène devient alors la photographie
d'une mise à mort qui ne sera pas sans blessés
et pas non plus sans être pourvoyeur de conditionnements
sociaux me confortant dans mes dispositions de prédateurs
que nous avons tous. En fait le massage idéal
n'existe pas, il s'agirait de tenter d'atteindre une
sorte d'équilibre inexistant et fantasmatique
entre l'homme, sa nature, l'art qu'il conçoit
par le massage et le ménagement des espaces nécessaires
à deux protagonistes également éclairés
de ces phénomènes inconscients. Autant
dire un mythe. Nous
ici là matière à travailler sur
les rapports qu'entretiennent massage et anthropologie
qui ne peuvent se définir sans la thématique
de la mort.
La position de mort est aussi présente
dans les symétries corporels, dans la dualité
des sens, dans le parcourt même que décrit
la gestuelle du praticien ou de la praticienne. Nous
avons là une sorte de Cène, prenant le
corps pour table et les sens de chacun pour convives
en rejouant à jamais ce dernier des repas finissant
par la mort du maître. Masser c'est réunir
pour à jamais trahir l'esprit d'un maître
qu'on est venu chercher pour mieux le crucifier après,
comme si les deux natures, humaine et divine, de l'un
comme de l'autre, ne pouvaient tout à fait être
conciliés mais recherchait à être
Ré-concilié, c'est à dire, conciliées
à nouveau, comme si la première fois ne
pouvait être que celle de la rencontre en prévision
d'une autre à venir, qui serait le mariage mais
un mariage qui passerait par le meurtre. Prévision,
et si le massage était une "pré-vision"
de quelque chose d'inabouti en l'homme ? La nature christique
de ce concept est nullement fortuite mais au contraire
profondément sociologique et anthropologique,
incapable de se détacher tout à fait de
son fond archétypal. Echapper à la terreur
de la mort est la poursuite de tout combat sachant que
l'art du massage est art
de guerre, enfermé
momentanément dans une mandorle qui n'est qu'une
projection de notre désir d'être rassuré.
Et comme être seul n'est jamais la meilleure façon
de sur-veiller l'inéluctable, la dualité
est la façon la moins tragique de conserver l'autre
comme témoin de ce danger et spectateur de notre
mort, même si elle risque de venir par celui censé
nous en prévenir. Mourir seul reste aussi inconcevable
que de naître seul. Se faire masser c'est le Christ
dans le sépulcre, finir son massage c'est la
naissance, c'est rejouer la création, c'est renaître.
Le massage vu comme une pulsion de mort
dégage toute une topologie, tout un cadastre
qui le rend particulièrement insolite à
étudié et il me semble que le laisser
au seul confort des formalismes sociaux le dénature
plus que d'admettre la part de non être qu'il
contient. Le retour aux origines entend une deuxième
naissance, un peu comme une image mythologique de retour
à la fontaine de jouvence, celle de la renaissance,
mais c'est oublier que cette renaissance passe par une
sorte de mue, de mort pour de faux. Là nous sommes
en plein alchimie mais toujours dans le giron proche
de la mort. Lisons pour cela Jung, Psychologie
et Alchimie, et nous
verrons ce processus de la mort du roi dévoré
pour mieux renaître. Pas aussi érudit que
cette volumineuse sommes de savoirs anciens nous aurons
tenter de vous démonter, à l'instar de
ce disciple de Freud, que le massage trouve écho
dans jusqu'au plus profond des cérébralités
de l'anthropos. Si l'alchimie peut révéler
par chacune de ces productions, son rapport étroit
avec la psychologie humaine on voit bien qu'elle révèle
tout autant, dans les corps des massés/masseur,
des combats inconscients qui se jouent sous la surface
calme d'une mer en proie à l'agitation du vivant
et c'est ce mouvement de fond que décrit le geste.
Ici nous retrouvons l'Abba et le Béra, rapport
entre le modeleur et le modelé tel que nous le
présente Marcel Jousse. Voilà la magie
du massage, voila ce qui s'ordonne sous les mains d'un
masseur ou d'une masseuse et c'est ici que l'on prend
conscience que réduire le massage à des
contingences de temps, l'enfermer dans une heure comme
dépasser les frontières de la sexualité
pour accomplir les basses oeuvres d'une sexualité,
sans réel partage, est meurtre, pire encore,
est assassinat. Et ne disons pas que les mains de celui
ou de celle qui nous masse ne guide pas ce genre de
pensée et que la prosaïcité de vos
rapports n'ont d'équivalent que celle de son
toucher, car toujours, culture est derrière,
culture est partout. Ce n'est ni l'esprit, ni le savoir
qui font la qualité du vivant mais sa nature
intrinsèque. Et voici posé le lien entre
massage et alchimie, religion et croyances joint à
leur terrain de prédilection, la mort.
Le fait d'aborder cet aspect du massage
nous montre qu'il n'y a pas d'espace où l'homme
puisse échapper à cette inquiétude
sournoise. Oublier ou tenter d'oublier la mort c'est
déjà mourir et ce de la façon la
plus tragique et inversement proportionnelle à
l'effort que l'on produit pour ne pas y penser. Car,
si il y a quelque chose de pire encore que de mourir
c'est bien l'effacement de la mémoire collective
qui constitue l'irrémédiable anéantissement.
Parler de la mort de quelqu'un le relie à une
forme primitive de vie
qui fut, et à
l'influence qu'elle à eu sur ses contemporains
et sur ceux qui en parlent. Exister de nouveau, l'espace
d'une conversation, c'est le dernière moyen
de vie qu'il puisse nous rester, tributaire que nous
sommes des événements de ceux qui nous
survivent. Peut-on d'ailleurs toujours se dire "tributaire
que nous sommes des événements" alors
que le verbe être n'est plus celui qui sied à
notre statut de disparu ? En tout cas, c'est bien de ne
plus parler d'un mort, comme si il n'avait jamais posé
ses pieds sur terre, qui nous fait être si créatif.
Néanmoins, ce lien si secret qui se tisse entre
le massage et la mort n'est pas toujours de mauvais
augures. Le massage, isolé dans une scène
de film d'horreur, peut se muer en un assassinat monté
pour effrayer, pour confiner la raison dans les derniers
retranchements de la folie, mais le massage, confronté
à la mort, peu tout autant s'avérer un
précieux allier et le massage dit cardiaque de
nature à relancer la pompe nécessaire
à notre circulation sanguine, a déjà
extirpé de la mort des millions de personnes
depuis qu'il fut découvert. Nous avons donc bien
un aspect morbide que révoque la discipline prise
dans son acception relaxante à une technique
dont les résultats ne sont plus à démontrer.
Philosophie et même
cinéma rejoignent le thème du massage
que nous nous appliquerons à révéler
dans sa forme noire.
Massage
des morts au Mali ou au Niger, massage de mort par l'effacement
d'une lettre létale au Golem dans la mystique
juive, massage de la mort par les phénomènes
de passage à trépas, massage de retour
du monde des morts à Madagascar, massage cardiaque
pour relancer la vie, les traces du massage corrélées
à cette perte de substance vitale à toute
vie sont nombreuses.
Ainsi, cet aller que nous vous proposons
n'est pas toujours sans retour et brille des milles
facettes d'un surprenant diamant, noir, va sans dire.
Mardi
17 juin 2008
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Jeudi 10 juillet 2008 |