Texte libre de droit non commerciaux, produit par le CFDRM le Vendredi 1er août 2008

Colin-maillard ou le massage ludique

Amarillis jouant à Colin-Maillard et Mirtil poussé par Cupidon, s'apprêtant à la saisir

Nous connaissons tous ce jeu collectif de Colin-Maillard nm (ko-lin-ma-llar, ll mouillées, et non ma-yar) qui consiste à bander les yeux d'une personne tirée au sort, afin qu'elle parvienne à toucher ou à attraper quelqu'un et à l'identifier par palpation. Ce jeu a de multiples versions mais remonterait au Xème siècle où, à Liège, se trouvait un chevalier dénommé Jean Colin Maillard, qui aurait été privé de la vue lors d'une bataille. L'histoire nous dit que, malgré ce désagrément certain, celui-ci continua de combattre mais malheureusement sans trop savoir qui il atteignait, ce qui est en effet, fort fâcheux.
Cette explication populaire vaut ce qu'elle vaux car en fait, à cette époque, rares étaient les personnes doublées de deux prénoms et d'un nom de famille sans être issues d'une lignée certaine. Colin en vieux français est le diminutif de Nicolas mais il veut aussi dire peu futé, et l'on trouve effectivement dans le déroulé de ce jeu les caractéristiques du simplet peinant à toucher quelqu'un puis à le reconnaître. Les patronymes qui finirent par s'imposer jusque dans le peuple afin de différencier la pléthore de Jean qu'il pouvait y avoir, s'accordaient souvent à une particularité physique ou à la profession qu'exerçait la famille et Malliard vient de maillet, donc, il est fort probable que ce garçon pratiquait un métier dont le maillet est un des outils principal comme charpentier par exemple. Certaines versions de cette histoire nous racontent d'ailleurs que le garçon se battait avec ce maillet, ce qui est bien peu chevaleresque. De plus, lorsque le royaume avait besoin de soldats il les prenait dans le peuple qu'il asservissait et de nombreuses batailles mentionnent ces hordes de paysans se battant avec leur outil professionnel.
Une autre version plus grivoise nous explique que Charles VIII, roi de France, aimait avoir à sa table une belle nommée ci-devant Camille au verbe plutôt rustique et à la réputation de fille peu farouche qui rendait nécessaire d'avoir pour rétablir le moralité de la table royale un révérend cordelier de bonne tenue nommée ci-devant, père Maillard. Ainsi, le bon roi ne pouvait, dit-on, avoir Camille "devenu Colin" sans Maillard.
La première version démontre le peu de discernement que pouvait faire preuve un chevalier aveugle armé d'un gourdin que l'on retrouve dans l'aveuglement du sujet aux yeux bandés, sensé reconnaître qui se trouve sous ses mains quand il parvient à s'en saisir.
Dans la seconde histoire plus grivoise on s'affranchie momentanément des règles en pardonnant tous les écarts qu'organisait le jeu autorisant à ce Camille/Colin les maladresses de sa condition. Les Maillard conviés à la joute ludique se revêtant des conventions habituelles des sociétés éclairées par le regard et l'esprit. Il s'agissait de rire des excès des comportements inadéquats et grotesques de ce Colin aux expressions modifiées tout en tentant de lui échapper. Le jeu est d'autant plus amusant qu'il se poursuit, qu'il organise dans son thème les figures de la fuite en substituant à des mains incertaines sa présence que les rires trahissaient.
L'événement survient lorsque que le nigaud happe à lui un des protagonistes pourtant tout a sa stratégie d'évitement. Il devient alors le condisciple de ce nigaud avec le risque de le devenir à part entière s'il est reconnu. C'est cela qui se jouait à la table du Roi et que la société met en scène en exagérant les traits de ce qui ce trouve être la résultante des codes sociaux constitués.
Colin c'est le fou du village, c'est celui par lequel le reste du groupe se valide dans ses acquits. L'aveuglement de Colin est la transposition de sa méconnaissance à l'excès des règles communes. Le faire tourner en bourrique, évoluer autour de lui, rire de son ridicule, c'est se poser en censeur et comparer avec les autres la pertinence de son propre comportement vis-à-vis du groupe. C'est parce que je ris de la situation que je signifie aux autre avoir comprit ce qu'elle contient de méconnaissance des mécanismes sociaux. Que l'on réponde à mon rire par d'autre est la manifestation de la compréhension d'un code commun. Que le bêta ris de son côté ne change rien puisque c'est son isolement qui l'identifie et se renforce avec le cocasse de la situation. S'il devait fédère par son comportement des manifestations de solidarités ou des réelles adhésions nous aurions-là la formation d'un groupe et d'une opposition constituant ces propres codes. Dans le cadre du jeu parodique de colin-Maillard, le rôle de l'idiot est d'autant plus assumé qu'il est tournant et organise à un des membres de la société à laquelle il faut appartenir pour participer à cette mise en scène la place consentie et momentanée du Colin.
Cette situation place l'individus dans le rôle du fou avec tout ce que cela comporte de droit, en particulier celui d'élévateur d'érotisme auquel tout est permis.


En effet, nous verrons que Colin-Maillard n'est pas resté, comme le jeu du Loup ou du Chat perché, un jeu d'enfants pourtant similaires à ceci près que dans le déroulé du jeu, il ne s'agit pas d'être un colin, il faut être un Maillard dont les maillets sont des doigts. Sans doute est-ce pour ce type de situation que fut proposée l'expression, jeux de mains, jeux de vilains et c'est ce jeux de mains que propose Collin-Maillard qui l'a rendu si célèbre.
Toucher des femmes, accéder à leur visage n'était pas si habituel que cela et ce jeu organisait l'impensable. Sous prétexte de divertissement, ne voilà-t-il pas que la belle se laissait approcher, et l'on ne saura jamais combien de garçons et de filles se laissèrent prendre par feinte maladresse, sans rompre au charme du jeu, afin de jouir de ces mains privées de leur regard et se laisser aller à l'émotion de sentir sur son minois rosie, les doigts brûlants de ce fou duquel vous vous vîtes sottement prisonnière. Combien non plus, jamais nous ne saurons, de fous retenant bien à l'instant le vrai nom de celle-ci et mais qu'au bénéfice du doute, le temps seul pouvant encore permettre qu'on la touche en nominait une autre. N'est-ce pas ainsi celle à laquelle nous n'aurions jamais pensé juste pour prolonger ce moment sur un visage qui sait lui-même que l'erreur est stratège et qu'il n'est point dommage de n'avoir été reconnue à la seconde, quand on souhaite que celui-ci dura tout un siècle ? Et puis il sera bien temps lors d'un autre jeu de rendre à ce Nicolas par milles hésitations, le centuple du temps qu'il lui fallut pour nommer celle que personne ne fut dupé qu'elle fut le dernier des prénoms proposé par déduction. Que de follies ce jeux fit faire et que de rires en grappes firent rougir les joues plus encore que les pommes du verger dans lequel se jouait le plus charmant des massages. Car enfin, quand donc mieux que les yeux bandés prend-t-on le temps de découvrir par l'infini délicatesse de ses mains, le visage d'un Maillard qui se laisse matter fut-il d'ailleurs par des doigts tout aussi rustique de Colin permettant de vivre en plein air et au vu de tous, un face-à-face qui ne trompait jamais que les enfants ? Le jeu rejoint ainsi par le ludique l'érotisme le plus complet et on ne compte plus les représentations de ces jeunes gens et moins jeunes qui s'initiaient à l'art de connaître par l'art de ce petit massage si joliment formulé.
Colin-Maillard est un massage de circonstance parce qu'il organise le contact avec le relief mouvementé du visage. Devoir décrire, suivre toutes ces lignes si proches de l'identité, si riches des traits dont s'ordonnent la beauté ne saurait s'extraire tout à fait à l'art de toucher qu'est le massage. Mieux encore, Colin-Maillard est une forme de massage collectif que le jeux rend seillant et l'habit tenu.
Le jeu est une façon de se retrouver entre jeunes personnes autour d'intérêts communs.
Dans la troisième partie du Kama Sutra dénommé "De l’acquisition d’une épouse", il est dit chapitre IV, qu'une jeune fille aimant un garçon "emploiera les moyens propres à s’en faire aimer, et cherchera toutes les occasions de le voir et de le rencontrer. Sa mère aussi ne négligera rien pour les réunir au moyen de ses amies et de la fille de sa nourrice. La jeune fille elle-même s’arrangera pour se trouver seule avec son bien-aimé dans quelque endroit tranquille, et tantôt elle lui donnera des fleurs, tantôt une noix de bétel, des feuilles de bétel et des parfums. Elle lui montrera aussi son adresse dans la pratique des arts, dans le massage, l’égratignure et la pression des ongles." Colin-Maillard procède de cette même sociologie des rencontres. Ce massage sur lequel revient souvent le Kama Sutra au VIème siècle se retrouve dans le jeu de Colin-Maillard au Xème. C'est un massage habillé, un mode de détente par le jeu mais un jeux qui organise l'intimité du toucher en l'impliquant dans son activité.

Si le jeu de Colin-maillard peut être assimilé au massage et cela ne semble pas faire de doute, nous pouvons à l'inverse considérer que le massage peut tout aussi bien se prêter sous sa forme ludique et/ou érotique à un jeu de colin-maillard de reconnaissance corporelle évoluée. Au moyen-âge le jeu été un forme de lâché-prise et de remise en cause des codes établis. Colin-Maillard est un Carnaval en miniature, une manifestation faite pour se distraire et se jouer des préjugés en les ridiculisant. Colin ou Carnaval dispose comme d'ailleurs quasiment toutes les formes de figures caricaturales d'une charge érotique puissante. On ne compte plus les jeux qui furent détournés de la sphère publique ou familiale pour rejoindre celle de la sexualité par laquelle d'ailleurs le massage prend sa place. Toutes les étymologies du mot massage ramènent à la main, comme le terme arabe Mass qui veut dire toucher. Colin-Maillard fait passer sa méthode de reconnaissance par le touché et notamment celui du visage. Dans la sphère ludo-érotique le jeu est tout aussi indissociable du massage comme régulateur des pulsions primaires. Jouer comme masser c'est organiser l'instant, c'est étendre par le jeu, lui donner un signifiant et un signifié formel paradigme d'un inconscient sexuel consciemment organisé.

Dans les très intéressants travaux de Morozov traduits par Monsieur Roty et que nous présente la Sorbonne sur "La civilisation traditionnelle dans la Russie du Nord" nous voyons bien que Colin-Maillard prend toute sa part de rencontre. Ainsi, jusque dans les années 30, on parlera des mariages du nouvel-an que les festivités et les jeux organisés à cet effet, favorisés. L'atmosphère ludique autour de laquelle s'orchestrait lors de ces fêtes était nommé du même vocable semble-t-il que celui qu'on emploie pour Colin-Maillard en russe, c'est-à-dire, "imavki" ou "imal'cy", qui signifie textuellement "prendre, choisir (les filles)". Ce que nous montre bien M. Mazorov c'est combien ce jeu-charnière rapprochait les gens dans la logique avérée de faire partie des mariés du nouvel-an.

Un Colin-Maillard morbide.
Nous avons, au CFDRM, beaucoup travaillé sur la place du massage engagé dans les processus de l'Eros et particulièrement du Thanatos. C'est donc avec grand d'intérêt que nous lisons cette traduction de M. Roty qui nous révèle un Colin-Maillard funèbre. Ainsi, cette manifestation de la joie, du plaisir de la rencontre et du toucher amenait des déguisements à thème au fin fond de ce Russie traditionnelle. Le joueur aux yeux bandés n'est plus ici l'amant de notre moyen-âge occidental, empourpré à la seule idée de toucher au visage d'une jeune fille mais pouvait prendre l'allure du borgne, du vieillard voir carrément d'un défunt augmentant sans doute la qualité du frisson certes pas du même ordre lorsqu'il s'agit d'un mort-vivant que d'un amant potentiel. D'ailleurs le terme employé est sans équivoque puisque l'on parle de "jeu avec le défunt" (igra s mertvecom) en russe, bien que cela s'inscrive toujours dans les festivités du nouvel-an.
Dans les Carpates et les Balkans, P. G. Bogatyrev explique qu'il n'était pas rare de voir des enfants jouer à Colin-Maillard autour de la dépouille mortelle d'une famille endeuillée. A Vel'sk, aujourd'hui la région d'Arhangel'sk, des garçons et des filles jouaient fréquemment à l'entrée des l'églises et allaient jusqu'à sortir le mort de son cercueil pour lui enfoncer une torche de copeau dans la bouche afin d'éclairer les lieux.
Ce massage-Maillard s'articule ici autour de l'élément mortel. C'est la mort qui fait non seulement l'événement mais aussi la masseuse. Si le toucher, le descriptif, est un massage à par entière, alors, reconnaître celui ou celle que l'on tient équivaut à lui transmettre la mort en lui abandonnant le rôle de défunt-joué. C'est par l'application de ce masse que l'on parvient à identifier la personne massé-palpée à ceci près que l'effort fourni ici n'est pas seulement fait pour reconnaître mais donner la mort. Le défunt ainsi sélectionné devient à son tour messager de mort avec pour procéder d'attraper puis de masser-identifier. La personne détenue attend après la capacité du pseudo-cadavre à découvrir le nom de sa victime et de l'emporter dans son monde. Ce massage est un massage que l'on fuit au contraire du Colin-Maillard traditionnel pour lequel il est toujours très agréable d'être pris, palpé et reconnu pour qu'a son tour on puisse devenir le Toucheur.

A l'instar du jeu du Loup ou du Chat perché, la Russie, comme beaucoup de pays, à nombre de variantes de ces proto-massage ludo-érotico-morbide comme le jeu du Pope où le touché par reconnaissance tactile est centrale. Il se joue là le paradigmes de la vie et de la mort à travers ces Colin-Maillard multi-formes où le toucher est toujours à éviter bien sûr un peu comme la sexualité doit l'être avant de se rendre à celui ou celle qui aura su nous attraper et nous reconnaître. Lorsque cette prise est faite, c'est l'expérience sensitive qui se fait jour dans un jeu mains-visage complexe. Le Colin-Maillard traditionnel n'est pas dénué de sa part de mort puisqu'il symbolise l'hymen, le don de soi à l'autre et donc la perte d'une potentialité pour le reste du groupe. Les doigts sur le visage sont autant de pénis comptables des rapports futurs.


"Le Peuple français " ou le régime de Robespierre

Le Colin-Maillard versus macabre n'est lui-même pas complètement vide de tout érotisme non plus puisqu'il est l'oeuvre des vivants et surtout de la dérision. Transmettre la mort pour de faux c'est la vaincre un peu et rappeler que toute la dimension festive qu'elle suggère n'est là que pour former des couples et donc de poursuivre inlassablement l'oeuvre du vivant. Cette gravure parodiant le régime de Robespierre est l'illustration de l'insouciance par le jeu, de l'érotisme toujours sous-tendu dans cette formulation ludique, de l'inconscience du régime qui joue avec ceux qu'il finit par tuer. C'est une sorte de massage de mort auquel, le trépas lui-même participe avec tous les attributs de sa condition. On se touche mais on ne sait jamais vraiment sur qui on tombe dans cette France post-révolutionnaire qui, après avoir démis la monarchie, s'en prenait à ses enfants. Colin-Maillard est une société humaine en plus petit de laquelle, malgré le jeux pris dans son essence enfantine, ni l'amour, ni la mort ne sont exempt.

 

 

 

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